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Une fois calmée et rassurée, Cindy Bloom laissa Aodhan l'emmener à l'infirmerie où le docteur Wallaee nettoya les trous laissés par les griffes sur le cou de l'agente. Il colla plusieurs petits sparadraps sur les blessures et déclara la jeune femme en parfaite santé. Toutefois, le beau sourire de Cindy ne revint pas égayer son visage. Elle descendit de la table d'examen, enfila une blouse rose tendre propre et une veste rose foncé, puis sortit dans la salle d'attente, où l'attendait son collègue amérindien.
— C'est encore douloureux ? s'enquit Aodhan devant sa mine déconfite.
— Non.
— On dirait que tu es sur le point de pleurer.
Il n'eut qu'à prononcer ces mots pour que des larmes se mettent à couler sur les joues de l'agente.
— Dis-moi ce qui ne va pas, la pria-t-il doucement.
— J'en ai assez de me faire attaquer par des reptiliens.
— Ils aiment sans doute le rose.
La taquinerie n'eut pas l'effet voulu. Cindy enfonça brutalement son coude dans l'estomac de l'Amérindien qui se tenait près d'elle.
— Ou c'est peut-être ton parfum.
Il intercepta le nouveau coup de coude juste à temps.
— Tu es sans doute la dernière à t'en rendre compte, mais tu es très jolie et tu sens très bon.
Elle leva un regard étonné sur son collègue.
— Et je ne le dis pas pour te faire un compliment. Je constate un fait, c'est tout.
— Donc, si j'arrête de me maquiller et de me parfumer, ils me laisseront enfin tranquille ? bougonna-t-elle.
— Je crains que non. J'ai lu quelque chose de pas mal intéressant dans la base de données des Reptiliens. En fait, c'est un texte que Vincent a trouvé sur Internet. Apparemment, les reptiliens raffolent des blondes aux yeux bleus.
— Je vais me teindre les cheveux.
Elle essuya ses larmes en maudissant intérieurement tous les extraterrestres qui étaient venus s'installer sur sa planète.
— Je vais aller te reconduire chez toi, offrit Aodhan.
— Pour y faire quoi ? J'ai suffisamment de travail ici.
À la grande surprise de son collègue, au lieu de quitter la section médicale, l'agente ouvrit la porte derrière laquelle Adam Wallace venait de disparaître.
— Cindy, pas par là ! s'écria Aodhan.
Trop tard, elle était entrée dans la salle d'autopsie. Elle s'immobilisa à quelques pas de la civière où reposait l'horrible créature vert sombre.
— Vous ne devriez pas être ici, mademoiselle, souligna le médecin qui s'apprêtait à faire de plus amples examens sur le reptilien.
— C'est pour ma santé mentale…
Debout derrière elle, Aodhan fit signe à Wallace de ne pas la chasser.
— Qu'est-ce que je peux faire pour vous éviter de sombrer dans la folie ? soupira le médecin, en jouant le jeu.
— Je voudrais voir le corps de plus près.
— Mais approchez, voyons. Il ne peut plus rien vous faire, puisqu'il lui manque la moitié des organes.
Aodhan signala au médecin qu'il en faisait un peu trop. Le commentaire de Wallace sembla cependant rassurer la jeune femme. Elle avança de quelques pas et promena son regard sur le corps recousu un peu partout.
— Est-ce que ce sont des humains dégénérés ? demanda-t-elle innocemment.
— Absolument pas. Ils ont des organes qui remplissent à peu près les mêmes fonctions que les nôtres, c'est-à-dire qu'ils respirent, mangent et évacuent ce qu'ils ont mangé. Mais, après avoir examiné celui-ci, je ne peux plus affirmer qu'ils sont placés au même endroit.
— Avez-vous peur quand vous devez faire une autopsie sur un monstre pareil ?
— Je ne crains pas ce qui ne vit plus, mais la seule pensée que ce genre de créatures puisse exister quelque part sur notre planète bouleverse totalement mes croyances religieuses.
— J'ai vu ses dents…
— Ce sont celles d'un carnassier.
— Il avait des ailes aussi.
— Et je m'explique mal comment il pouvait voler avec de tels appendices.
Wallace retira une aile d'un grand sac en plastique pour la montrer à la jeune femme. Celle-ci ressemblait à celles des chauves-souris, sauf qu'elle était toute trouée.
— Est-ce un signe de maladie ? demanda Aodhan, curieux.
— Les lésions ressemblent davantage à des blessures. Je pense plutôt que notre petit ami, qui était un mâle même si ce n'est pas apparent, se battait contre d'autres mâles.
— Ils peuvent avoir des bébés ? s'horrifia Cindy.
— Dieu a créé l'homme et les animaux, et leur a ordonné de se multiplier, leur rappela Wallace.
— Avez-vous terminé l'autopsie ? s'enquit l'Amérindien.
— Physiquement, oui. Par contre, je ne sais toujours pas comment organiser mes notes pour que mon rapport soit intelligible. Il va falloir que j'invente une nouvelle méthode de travail si vous continuez à me fournir des dragons.
— Veux-tu retourner chez toi, maintenant ? demanda Aodhan à sa collègue.
— Non.
Sans crier gare, elle s'empara d'un scalpel et le planta dans le front du Naas. Les deux hommes ouvrirent tout grands les yeux, mais ne bougèrent pas.
— La prochaine fois, je le ferai quand tu seras vivant ! grommela Cindy.
Elle tourna les talons et quitta la salle d'autopsie.
— Mais il ne reviendra pas à la vie bafouilla Wallace.
— Ce n'est pas ce qu'elle a voulu dire, lui assura l'Amérindien en se lançant à la poursuite de l'agente.
Il la rattrapa au moment où elle pianotait son code sur la serrure à numéros de la porte du laboratoire de l'Antéchrist.
— Cindy, je pense sérieusement que tu devrais aller te reposer.
— Je veux visionner mon enregistrement. Je veux savoir pourquoi je n'ai pas remarqué tout de suite que c'était un reptilien.
Elle s'installa devant l'ordinateur et entra sa demande sur le clavier. L'entrevue avait déjà été répertoriée et même intégrée à sa base de données. Elle appuya sur la touche Départ et se cala dans sa chaise, les bras croisés. Elle s'entendit poser la première question à Aurélien Brillare, mais les mots qui sortirent de la bouche du vieil homme étaient dans une autre langue !
— Vincent McLeod ! se fâcha-t-elle.
Aodhan décida d'abord de vérifier l'intégrité de la bande avant d'accuser qui que ce soit.
— Ordinateur, cette bande a-t-elle été altérée ? demanda-t-il.
— NON MONSIEUR LOUP BLANC. C'EST LE SIGNAL QUE NOUS AVONS DIRECTEMENT RECU DE LA CAMERA DE MADEMOISELLE BLOOM.
— Mais quand j'ai procédé à l'entrevue, je comprenais tout ce qu'il me disait ! Pourquoi parle-t-il en russe tout à coup ?
— L'ANALYSE REVELE QU'UNE SEULE LANGUE A ETE UTILISEE, SOIT LE FRANCAIS.
— Et toi, qu'est-ce que tu entends ? fit Cindy en se tournant vers Aodhan.
— Ce n'est pas du français. Ordinateur, mettez immédiatement ce fichier en quarantaine et procédez à une vérification de tous les systèmes.
La bande vidéo disparut instantanément de l'écran.
— LE FICHIER EST EN QUARANTAINE, MAIS JE DOIS OBTENIR L'AUTORISATION DE MONSIEUR ORLEANS POUR EFFECTUER UNE VERIFICATION COMPLETE QUI PARALYSERA UNE PARTIE DES OPERATIONS DE LA BASE.
— Je m'en occupe, annonça l'Amérindien en quittant prestement la salle.
Cindy se rappela alors qu'elle avait également utilisé son MP3. Elle fouilla dans sa poche de veston sans le trouver.
— Ordinateur, quelqu'un a-t-il ramassé mes affaires à l'appartement de monsieur Brillare ?
— ELLES SONT EN POSSESSION DE MONSIEUR FLETCHER.
— Merci.
La jeune femme se rendit en courant dans les quartiers de la sécurité. Sa mallette reposait justement sur la table de travail de l'homme en noir.
— Est-ce que ça va, Cindy ? s'alarma Fletcher.
— Je commence à m'endurcir. Puis-je ravoir mes affaires ?
— Certainement. Nous les avons passées dans tous les scanners. Elles n'ont pas été contaminées par quoi que ce soit.
Cindy ouvrit la mallette en cuir et en retira le petit magnétophone. Elle accrocha l'écouteur à son oreille et actionna le mécanisme.
— C'est en français ! s'exclama-t-elle.
Elle détala vers la sortie, n'emportant avec elle que le MP3, puis fila dans le long couloir et fit irruption dans la salle des Renseignements stratégiques comme si un démon était à ses trousses. Elle n'arrêta sa course qu'une fois arrivée devant la porte du bureau de Cédric.
— Laissez-moi entrer ! exigea-t-elle.
La porte s'ouvrit et elle fonça à l'intérieur. Aodhan et Cédric se penchaient déjà sur le problème de corruption de l'enregistrement.
— J'ai aussi utilisé ceci, annonça-t-elle en remettant le MP3 à son patron.
Cédric n'écouta que quelques secondes de la bande audio.
— L'ordinateur a déjà commencé à effectuer une vérification complète de tous les systèmes, lui apprit-il en décrochant l'écouteur de son oreille.
— Je ne comprends pas comment c'est possible, s'agita Cindy. Même un virus ne peut pas changer les mots dans la bouche d'une seule personne.
— La langue qu'utilise la créature n'existe même pas sur cette planète, indiqua Cédric qui surveillait maintenant l'écran encastré dans sa table de travail.
— Avez-vous demandé à Vincent d'identifier le problème ?
— C'est la prochaine étape, si l'ordinateur m'assure qu'il ne court aucun risque. Il ne faut pas oublier que c'est lui que tentait de piéger le reptilien.
Ignorant ce qui se passait dans le bureau de son patron, Vincent McLeod s'était isolé dans les Laboratoires pour examiner en toute sécurité le reptilien qui avait bien failli l'enlever. À l'insu du docteur Wallace, l'informaticien avait actionné les caméras de la salle d'autopsie et effectué sa propre analyse de la dépouille. Il avait photographié la créature avant que le médecin ne lui ouvre la cage thoracique, puis avait assisté au prélèvement de ses organes. Au bout d'un moment, complètement dégoûté, il s'était plutôt employé à composer une fiche descriptive sur le reptilien vert sombre afin de l'intégrer dans la base de données de Cindy.
Lorsqu'il fut enfin prêt à transmettre le tout à l'autre laboratoire, l'ordinateur l'informa qu'une importante vérification était en cours et que sa requête devrait attendre. Incapable de rester inactif, Vincent se rabattit sur un ordinateur indépendant de la base qui avait un lien vers l'extérieur.
Il avait déjà fait un millier de recherches sur les reptiliens, mais aucune sur les prophéties de la Bible. Pour faire plaisir à Cindy, il se mit à fouiller un peu partout pour trouver des informations qui lui seraient utiles. C'est alors qu'il fit une importante découverte qui allait changer sa vie à tout jamais.
— Pourquoi n'ai-je jamais vu ceci avant aujourd'hui ? s'étonna le jeune savant.
Un mathématicien israélien avait découvert un code secret dans la Bible qui révélait le futur ! Il prétendait que ce livre n'était en fait qu'un programme informatique codé à l'aide d'une serrure à retardement qui n'attendait que l'ordinateur soit inventé pour être décrypté. En enlevant tous les espaces entre les mots, ce qui en faisait un immense texte en continu, ce savant avait remarqué que la Bible en hébreu était construite comme des mots croisés, c'est-à-dire verticalement, horizontalement et diagonalement. Il y avait une Bible dans la Bible ! Le code découvert par le mathématicien était, selon lui, une série de révélations à retardement, chacune destinée à la technologie de son temps.
Vincent se plongea évidemment dans l'étude de tous les exemples d'utilisation du code. Au bout de quelques heures, il en vint à la conclusion que le code ne servait pas à prédire des événements, puisqu'on ne pouvait pas l'utiliser sans savoir précisément ce qu'on cherchait, mais servait surtout d'avertissement.
Il apprit aussi, en parcourant le récit des deux grandes apocalypses, rapportées dans le livre de Daniel et les Révélations, que des événements horribles se produiraient lorsqu'un livre secret serait ouvert à la fin des temps. Était-ce la Bible ? Ce qui frappa surtout Vincent, c'était que le codeur avait prédit l'avenir du monde des milliers d'années auparavant et qu'il l'avait d'abord inscrit dans la pierre ! Ce que Moïse avait reçu sur le mont Sinaï était en fait une base de données interactive !
— Yannick devait déjà être au courant de tout ceci…, murmura-t-il.
Le déchiffreur israélien indiquait aussi que le code était avant tout un ensemble de probabilités basées sur un livre dans lequel se trouvaient tous les futurs possibles.
— La Bible devrait donc pouvoir nous dire comment prévenir la destruction de la Terre, conclut Vincent.
Le jeune savant se mit à lire, de plus en plus convaincu de l'existence de ce code. Il frissonna d'horreur en apprenant que, selon ce dernier, une seule ville était associée à la fin du monde : Jérusalem.
Vincent sursauta violemment lorsque Cédric posa une main sur son épaule, quelques heures plus tard.
— Tout doux, l'apaisa le directeur.
— Je suis vraiment désolé, Cédric. J'étais tellement absorbé par ces documents…
Cédric vit sur l'écran des grilles remplies de lettres dont certaines étaient encerclées en rouge.
— De quoi s'agit-il ?
— Je voulais aider Cindy dans ses recherches sur la fin du monde et je suis tombé sur ce site qui parle d'un code secret dans la Bible. En avais-tu déjà entendu parler ?
— J'ai lu un article à ce sujet dans un magazine il y a quelques années de cela. Si je me souviens bien, c'est un code qui prévoit tous nos futurs possibles, ou quelque chose comme ça.
— N'est-ce pas extraordinaire ? Dieu est un informaticien !
L'enthousiasme de son jeune employé fit sourire le directeur.
— Donne-moi la permission de mettre la main sur ce programme, je t'en supplie.
— Oui, bien sûr, si c'est légal. En attendant, j'ai un service à te demander, mais seulement si tu te sens à l'aise. Sinon, je l'enverrai à Kevin Lucas.
La curiosité de Vincent était piquée.
— Lorsque j'ai écouté en direct l'enregistrement que Cindy faisait de son entrevue avec le faux prophète de Toronto, les réponses de ce dernier étaient en français, mais lorsque nous avons tenté de réécouter la bande, ce qui sortait de la bouche de ce reptilien était inintelligible.
— Tu veux que j'essaie de comprendre ce qui s'est passé ?
— Seulement si cela ne t'effraie pas.
Vincent se rappela ce qui lui était arrivé à Montréal lorsque son ordinateur personnel s'était mis à lui renvoyer des dessins psychédéliques et que la voix d'Ahriman avait provoqué une hémorragie dans son crâne.
— Je ne le ferai que sur un ordinateur non relié à quelque système que ce soit, et en présence d'une personne fiable qui pourra me sortir de là si les choses tournent mal.
— Que penses-tu de monsieur Loup Blanc ?
— J'aurais préféré Yannick, mais Aodhan fera l'affaire.
— Merci, Vincent. Tu n'as qu'à m'avertir lorsque tu seras prêt.
— J'aimerais d'abord tenter de télécharger le programme sur le code de la Bible.
— je sais.
Cédric tapota amicalement le dos de son prodige. Avant même qu'il ait quitté les Laboratoires, Vincent était déjà à la recherche du programme en question.